Short Description
L’un des épisodes les plus remarquables à ce propos est celui du comportement du Prophète (paix et salut à lui) envers les émissaires de Chosroès l’empereur de Perse qui vinrent le voir à Médine
L’un des épisodes les plus remarquables à ce propos est celui du comportement du Prophète (paix et salut à lui) envers les émissaires de Chosroès l’empereur de Perse qui vinrent le voir à Médine. Le Prophète (paix et salut à lui) avait envoyé une lettre à Chosroès pour l’appeler à l’islam. Cette lettre avait suscité la colère de l’empereur de Perse, qui l’avait déchirée et avait envoyé à son gouverneur du Yémen l’ordre de lui ramener le Prophète (paix et salut à lui) !
Pour bien comprendre l’approche prophétique des relations avec les non-musulmans dans des circonstances aussi difficiles, il sera utile de citer ici le récit de cet épisode depuis le début.
Yazîd ibn Habîb[1] (qu'Allah lui fasse miséricorde) a relaté : « Le Prophète (paix et salut à lui) envoya `Abdallâh ibn Hudhâfa[2] (qu'Allah l’agrée) porter à Chosroès fils de Hurmuz le souverain des Perses une lettre où il disait : ‘Au nom d'Allah, Clément et Miséricordieux. De Mohammad le Messager d'Allah à Chosroès le puissant souverain de Perse : que la paix soit sur ceux qui suivent la bonne voie, qui croient en Allah et Son Prophète et qui témoignent qu’il n’est de dieu qu'Allah, l’Unique sans associé, et que Mohammad est Son serviteur et Son prophète. Je t’appelle de l’appel d'Allah. Je suis le Messager d'Allah à tous les êtres humains, afin que les vivants soient avertis et que la Parole s’accomplisse à l’encontre des mécréants. Soumets-toi, tu iras en paix. Si tu refuses, tu porteras le fardeau du péché des mages.’
Lorsque Chosroès prit connaissance du contenu de la lettre il la déchira en s’exclamant : ‘Il m’écrit de cette façon, lui qui est mon esclave !’
Puis Chosroès écrivit à Badhân, son gouverneur au Yémen, d’envoyer deux hommes forts à cet homme qui était au Hedjaz afin de le lui ramener. Badhân envoya son intendant Bâbwayh accompagné d’un Perse nommé Kharkhasra ; il leur fit porter au Prophète (paix et salut à lui) une lettre où il lui enjoignait de partir avec eux voir Chosroès. Il dit à Bâbwayh : ‘Va chez cet homme, parle-lui et informe-moi à son sujet.’ Les deux délégués voyagèrent jusqu’à at-Tâ’if : ils trouvèrent des hommes de Quraysh à Najb à proximité d’at-Tâ’if, et les interrogèrent au sujet de Mohammad (paix et salut à lui). Ils lui répondirent qu’il était à Médine, et se réjouirent entre eux, se disant : ‘Quelle bonne nouvelle, Chosroès le souverain de Perse veut le capturer, il va vous en débarrasser !’
Les deux émissaires parvinrent jusqu’au Prophète (paix et salut à lui) et Bâbwayh s’adressa à lui en ces termes : ‘Le roi des rois, Chosroès, a écrit au roi Bâdhân en lui ordonnant de t’envoyer chercher. Il m’a envoyé pour que tu viennes avec moi. Si tu acceptes, il écrira au roi des rois de bien te traiter et te protègera de lui. Si tu refuses, tu sais qui il est : il t’anéantira, toi et ton peuple, et détruira ton pays.’ Les deux hommes entrés en présence du Prophète (paix et salut à lui) avaient la barbe rasée et portaient la moustache. Leuraspect déplut au Prophète (paix et salut à lui). Il s’avança vers eux et leur dit : ‘Malheur à vous, qui vous a ordonné cela ?’ Ils répondirent : ‘C’est notre seigneur (c’est-à-dire Chosroès) qui nous l’a ordonné.’ Le Prophète (paix et salut à lui) leur dit : ‘Mon Seigneur, Lui, m’a ordonné de porter la barbe et de couper ma moustache.’ Puis il leur dit de revenir le voir le lendemain.
Le Prophète (paix et salut à lui) reçut du ciel la nouvelle qu'Allah avait accordé le dessus sur Chosroès à son fils Sherveh qui avait tué son père, telle nuit de tel mois. Il appela les deux émissaires et les en informa. Ceux-ci s’exclamèrent : ‘Sais-tu ce que tu dis ? Nous te punirions pour moins que cela. Veux-tu que nous écrivions au roi pour l’informer de cela ?’ Le Prophète (paix et salut à lui) répondit : ‘Oui, informez-le de cela de ma part, et dites-lui que ma religion et mon pouvoir s’étendront sur tout le royaume de Chosroès, et aussi loin que l’on peut aller. Dites-lui encore que s’il devient musulman, je lui donnerai le pouvoir sur le pays qu’il gouverne et je ferai de lui le roi de son peuple.’
Puis il offrit à Kharkhasra une ceinture sertie d’or et d’argent qu’il avait reçue en présent d’un roi. Les deux hommes repartirent et allèrent informer Bâdhân de ce qu’il leur avait dit. Ce dernier dit : ‘Par Allah, ce ne sont pas là les propos d’un roi. Je suis certain que cet homme est un prophète comme il l’affirme, et que ce qu’il a dit se vérifiera. Si cela est vrai, il est bien un prophète envoyé par Allah ; dans le cas contraire, nous verrons ce que nous ferons.’ Peu après, Bâdhân reçut une lettre de Sherveh lui disant : ‘J’ai tué Chosroès, et je ne l’ai tué que pour venger les Perses : il se permettait de tuer leurs notables et de s’approprier leurs richesses. Lorsque tu recevras cette lettre, reçois pour moi l’allégeance de ceux qui sont avec toi. Vois ce qu’il en est de l’homme au sujet duquel Chosroès t’avait écrit, et ne fais rien tant que mes ordres à son sujet ne te seront pas parvenus.’
Lorsque la lettre de Sherveh parvint à Bâdhân, il s’exclama : ‘Cet homme est bien un prophète !’ Il embrassa l’islam, suivi par les sujets perses qui étaient avec lui au Yémen. Bâbwayh dit à Bâdhân : ‘Jamais je n’ai parlé à un homme qui m’a impressionné plus que lui.’ Bâdhân lui demanda : ‘A-t-il avec lui des gardes ?’ Il répondit : ‘Non.’ »[3]
Cet épisode remarquable exprime au-delà des mots l’essence de l’éthique prophétique des rapports avec l’adversaire.
On voit comment les deux émissaires de Chosroès sont venus jusque chez le Prophète (paix et salut à lui) dans le but de l’amener à l’empereur de Perse, avec une attitude hautaine et vaniteuse pareille à celle de leur chef Chosroès. Malgré cela, le Prophète (paix et salut à lui) ne s’est à aucun moment départi de son calme, de sa douceur et de sa courtoisie. Il les a informés avec confiance et objectivité de la nouvelle qu’il avait reçue du ciel, les invitant à aller dire à Bâdhân, le gouverneur de Chosroès au Yémen, que s’il acceptait l’islam le Prophète (paix et salut à lui) lui confierait le pouvoir sur les territoires qu’il gouvernait. Puis il a ajouté à ce respect une marque d’estime et de générosité plus grande encore, en offrant à l’un des émissaires un cadeau de valeur, une ceinture sertie d’or et d’argent.
Cette approche diplomatique admirable des relations avec un adversaire en tous points différent de lui par sa foi et sa religion, par ses positions politiques mais aussi par ses valeurs et sa personnalité, nous incite à une réflexion approfondie. En effet, il n’y a pas de loi obligeant un chef à user d’une telle douceur envers un homme venu le menacer : cette attitude est le fruit de la maîtrise intérieure du Prophète (paix et salut à lui) qui soumet ses réactions au contrôle de la Loi divine et des ordres d'Allah… Cette noblesse, c’est des enseignements de l’islam qu’elle provient. Quelle différence entre quelqu’un dont chaque acte ou chaque silence est placé sous le contrôle de son Seigneur, et quelqu’un qui vit au gré de ses passions, soumis à ses désirs ! L’écart est aussi grand que celui entre le levant et le couchant.
Ce comportement du Prophète (paix et salut à lui) envers l’autre, envers les non-musulmans, n’était en rien occasionnel dans sa vie : il s’agissait au contraire de l’un des principes régissant toutes ses relations avec les autres communautés. Ceci apparaît clairement dans ses lettres aux monarques et aux chefs, où il montrait à tous le même respect et la même estime, employant toujours le summum de la diplomatie et la plus haute moralité quelle que soit la religion de ses interlocuteurs, dont les uns étaient chrétiens, les autres zoroastriens ou encore idolâtres. Leur appartenance ethnique n’avait pas non plus d’importance, et il montrait le même respect aux Arabes qu’aux non-Arabes.
Le Prophète (paix et salut à lui) a envoyé un certain nombre de lettres aux monarques de son temps, les invitant à accepter l’islam. Il est remarquable que dans chacune de ces lettres, il qualifiait le monarque ou le chef de « puissant », sans être gêné par le fait qu’il s’agissait de non-musulmans à la foi dénaturée.
Ainsi, il dit dans sa lettre à l’empereur byzantin : « De Mohammad, Messager d'Allah, à Héraclius, puissant souverain des Romains… »[4]
Dans sa lettre à Chosroès l’empereur de Perse, il dit : « De Mohammad, Messager d'Allah, à Chosroès, puissant souverain des Perses… »[5]
Dans sa lettre au Muqawqis, le souverain d’Egypte, il dit : « De Mohammad, Messager d'Allah, au Muqawqis, puissant souverain des Coptes… »[6]
Dans sa lettre au Négus, souverain d’Abyssinie, il dit : « De Mohammad, Messager d'Allah, au Négus, puissant souverain des Abyssins… »[7]
C’est ainsi que le Prophète (paix et salut à lui) formulait ses lettres.
Ce respect montré par le Prophète (paix et salut à lui) aux émissaires de Chosroès qui pourtant lui apportaient des Perses un message inacceptable, il le montrait également à toutes les délégations qui venaient à Médine, quelle que fût la position politique ou religieuse à laquelle il s’attendait de leur part. Il était plein d’attentions pour ces délégations, leur réservant le meilleur accueil, leur offrant l’hospitalité, les traitant avec honneur et leur donnant des cadeaux. Son accueil était généreux et chaleureux, il se montrait disponible et portait ses plus beaux habits pour les recevoir.[8]
Des appartements étaient réservés à l’accueil de ces délégations, comme cela apparaît dans le récit de la venue de la délégation de Salâmân,[9] où le Prophète (paix et salut à lui) dit à son serviteur Thawbân : « Installe cette délégation là où les délégations sont logées. »[10]
Il est donc clair qu’il y avait un logement réservé à l’accueil de ces délégations. Certains récits indiquent qu’il s’agissait de la maison de Ramla bint al-Hârith an-Najjâriyya[11] (qu'Allah l’agrée) : ce fut le cas par exemple pour les délégations des Kilâb, des Muhârib, des `Udhra, des `Abd Qays, des Taghlib et des Ghassân.[12]
Le Prophète (paix et salut à lui) avait coutume de faire repartir ces délégations avec des cadeaux et des rétributions, souvent sous forme d’argent.[13]
L’attention qu’il portait aux délégations venant à Médine, quelles que fussent leur religion et leurs croyances, était telle qu’il fit des recommandations en leur faveur dans les derniers instants de sa vie. Le Prophète (paix et salut à lui) dit en effet au cours de ses dernières recommandations : « Rétribuez les délégations avec l’équivalent de ce que je leur donnais. »[14] – C’est-à-dire donnez-leur des présents de même valeur.
Pour conclure sur ce point, il est important de noter que le respect du Prophète (paix et salut à lui) à l’égard de ses opposants allait jusqu’à la préservation de leurs textes religieux, alors même qu’il était convaincu que ces textes étaient falsifiés et dénaturés, et qu’ils tenaient sur les prophètes et les messagers des propos inacceptables tant par la raison qu’au regard de la Loi divine. Malgré tout cela, le Prophète (paix et salut à lui) préserva ces livres et ces textes. Lors de la conquête de Khaybar, le butin pris dans les forts comportait des manuscrits de la Torah. Lesjuifs vinrent les réclamer : le Prophète (paix et salut à lui) parla à ses Compagnons et les manuscrits furent restitués aux juifs.[15]
Quelle noblesse dans le comportement ! Qui observe de telles valeurs dans les relations avec ses opposants ? Que l’on compare ce comportement à celui des Croisés de la Reconquista, ou à celui des Romains lors de la prise de Jérusalem… Le contraste est flagrant.
[1] Yazîd ibn Habîb est un Suivant qui a relaté des hadîth d’après `Uqba ibn `Amir al-Juhnî et d’autres. Muhammad ibn Sa`îd dit de lui : « Yazîd ibn Habîb était un affranchi des Banû `Âmir ibn Lu’ay de Quraysh, c’est un rapporteur digne de confiance qui a transmis de nombreux hadîth. » Il mourut en l’an 128 de l’hégire. Voir az-Zarkalî, al-A`lâm, 6/32.
[2] `Abdallâh ibn Hudhâfa ibn Qays as-Sahmî al-Qurashî embrassa l’islam très tôt et prit part à la seconde émigration en Abyssinie, puis il participa à la bataille de Badr. Il fut fait prisonnier par les Byzantins à l’époque de `Umar ibn al-Khattâb : ils voulurent lui faire abjurer sa foi mais Dieu le préserva et le sauva de leurs mains ainsi que les autres prisonniers musulmans. Voir Ibn Hajr, al-Isâba, titre 4620 ; Ibn `Abd al-Barr, al-Istî`âb¸2/268 ; et Ibn Athîr, Asad al-ghâba, 3/106.
[3] At-Tabarî, Târîkh al-umam wal-mulûk 3/90-91 ; Ibn Kathîr, as-Sîra an-nabawiyya, 3-508-510.
[4] Al-Bukhârî, Livre du début de la révélation, chapitre : « La conversation d’Abû Sufyân avec Héraclius » (7) ; Muslim, Livre du jihâd et des expéditions, chapitre : « La lettre du Prophète (paix et salut à lui) à Héraclius l’invitant à l’islam (1773).
[5] At-Tabarî, Târîkh al-umam wal-mulûk 3/90-91 ; Ibn Kathîr, as-Sîra an-nabawiyya 3/508-510.
[6] Voir Abû Ja`far at-Tahâwî, Mushkil al-âthâr 11/136 ; cité par al-Bazzâr dans son Musnad (1945) d’après Kashf al-astâr avec une chaîne de narration bonne.
[7] Al-Hâkim, al-Mustadrak 2/633 ; al-Bayhaqî, Dalâ’il an-nubuwwa 2/308.
[8] Fârûq Hamâda : Al-`Alâqât al-islâmiyya an-nasrâniyya fî l-`ahd an-nabawî (Les relations islamo-chrétiennes à l’époque prophétique), p. 95.
[9] Habîb ibn `Umar as-Salâmânî a relaté : « Nous vînmes voir le Prophète (paix et salut à lui), une délégation de sept hommes des Salâmân. Nous trouvâmes le Prophète (paix et salut à lui) sortant de la mosquée pour se rendre à des funérailles où on l’avait appelé. Nous lui dîmes : ‘La paix soit sur toi, Messager de Dieu.’ Il répondit : ‘Et sur vous ; qui êtes-vous ?’ Nous dîmes : ‘Nous faisons partie des Salâmân, nous sommes venus te prêter serment d’allégeance en musulmans, au nom du reste de notre tribu.’ Il se tourna vers son serviteur Thawbân et lui dit : ‘Installe cette délégation là où les délégations sont logées.’ Après la prière de zuhr, il s’assit entre la chaire et son appartement : nous vînmes l’interroger sur la prière et les prescriptions de l’islam, et sur les incantations. Puis nous déclarâmes notre conversion à l’islam et il nous donna à chacun cinq onces d’or. Nous repartîmes ensuite chez nous : cela se passait au mois de shawâl de l’an dix. » Voir Ibn Sa`d, at-Tabaqât al-kubrâ, 1/332.
[10] Ibn Sa`d, at-Tabaqât al-kubrâ, 1/332.
[11] Ramla bint al-Hârith al-Ansâriyya an-Najjâriyya faisait partie des femmes qui avaient prêté le serment d’allégeance. Les Banû Qurayza avaient été détenus dans sa maison lorsque Sa`d ibn Mu`âdh jugea de leur sort, et les délégations au Prophète (paix et salut à lui) résidaient dans sa maison. Voir Ibn al-Athîr, Asad al-ghâba, 6/119, et Ibn Hajr, al-Isâba, titre 11177.
[12] Ibn Sa`d, at-Tabaqât al-kubrâ, 1/300-348.
[13] Ibid.
[14] Al-Bukhârî d’après Ibn `Abbâs (que Dieu l’agrée), Livre du jihâd et des expéditions, chapitre : « Les présents aux délégations » (2888) ; Muslim, Livre des dernières recommandations, chapitre : « Celui qui n’a rien à léguer n’a pas besoin de le faire » (1637).
[15] Al-Wâqidî, al-Maghâzî, 1/681.
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